Celle en moi qui se jette à tes genoux, soumise,
Est condamnable devant moi ;
Celle, farouche, en moi que tu n’as pas conquise,
Je la rejette loin de moi.
Comment apprivoiser cette femme intraitable,
Dont tant d’usages lient les mains ?
De fleurs, de chuchotis, de fruits mûrs tu m’accables,
Ironique ange, mais en vain.
Comme un vase troué dont les eaux s’amenuisent,
Mon temps se répand hors de moi.
Celle en moi qui se jette à tes genoux, soumise,
Est condamnable devant moi.
Avec stupeur et révulsion je le repousse,
Ce qui en moi ne cède rien
Devant l’obscurité démesurément douce
De ton pâle regard lointain.
Celle en moi qui se jette à tes genoux, soumise,
Est condamnable devant moi ;
Celle, farouche, en moi que tu n’as pas conquise,
Je la rejette loin de moi.
Si un sommeil pareil aux fosses océanes
Pouvait m’engloutir sans retour,
Pour que je rêve à toi toujours en filigrane,
Quelle vie folle, mon amour !
Ana Blandiana (née en 1942)