Rêve blanc

Ah ! m’enfuir avec toi quelque part loin d’ici,
Peut-être jusqu’au pôle où, sous un ciel d’opale,
La glace des massifs se disloque à grands cris
En cent mille diamants jonchant l’océan pâle.

Au zénith on verra, bruissant de tous ses plis
Et déchirant la nuit de ses couleurs spectrales –
Le pourpre, le saphir, le lapis-lazuli –,
Ondoyer des festons d’aurore boréale.

La banquise sans fin déroulera pour nous
Ses tapis de blancheur parcourus de rafales,
Et dans un sombre igloo, tous les deux à genou,
Nous feront s’embraser des huiles minérales.

Des quatre coins de ce royaume immaculé
Trottinera bientôt le peuple fantastique
Des nuits polaires, qui viendra nous saluer :
Ours plus blancs que ouate et phoques gris arctiques…

Et lorsqu’après six mois le soleil reviendra,
Que le vent chassera les brumes importunes,
Nous verrons brasiller comme un immense drap
Devant nous : le miroir ardent d’une lagune.

Oh ! j’irai au matin de chaque nouveau jour
Me baigner toute nue en cette eau froide et menthe ;
Il aura beau geler, je sais que ton amour
Me rechauffera tant que je serai brûlante !

« Vis alb »
Otilia Cazimir (1894-1967)