Vient seulement la nuit

Vient seulement la nuit, quand le silence
Gratte à chaque fenêtre tour à tour,
Quand, morose, brassant mes idées rances
En mon antre, j’espère ton retour.

A l’instar de ce vieux voleur de pommes
Qui aux griffes du roncier s’était pris,
Vient seulement la nuit, quand l’œil des hommes
Encore éveillés se voile de gris.

De ton châle écarte comme un sillage
Les brouillards sur le lac venus s’asseoir,
Et fais taire le confus babillage
Dont bourdonne l’air du matin au soir.

Dans mon pâle jardin viens-t’en éclore,
Franchis mes seuils condamnés comme rien,
Afin de me confondre plus encore
Que lorsque c’est en rêve que tu viens.

Le jour n’est jamais si beau, si splendide
Que ces nuits, jamais il n’éclaire autant.
Si à me visiter tu te décides,
Vient seulement la nuit, quand je t’attends.

La nuit seulement, quand la lune ronde
Ombre les rocs rongés de lichen où
La biche sent sa matrice féconde
Lui peser, soupire et tombe à genoux,

Quand le ciel couvert d’encre volatile
S’enfle de mystérieux pressentiments,
Vient seulement la nuit, lorsque la ville
Est une nécropole entièrement.

Viens sans bruit, ainsi que le temps s’égoutte
Jusqu’au soir qui m’offre son baiser pur.
J’habite où tu sais, au bout de la route,
Et la clé de fer est pendue au mur.

Radu Stanca (1920-1962)